Shiina Ringo - Shôso Strip (2000)

1 - Kyogenshou
2 - Yokushitsu
3 - Benkai Debussy
4 - Gibs
5 - Yami ni Furu Ame
6 - Identity
7 - Tsumi to Batsu
8 - Stoicism
9 - Tsuki ni Makeinu
10 - Sakana
11 - Byôshô Public
12 - Honnô
13 - Izonshô

Shôso Strip

»  ultima, le 09 Janvier 2007.Melting Pot Avantgardiste  «


Non, W~R n'a pas sombré dans la folie en chroniquant un album d'une major japonaise. Shôso Strip est le deuxième album de Shiina Ringo, artiste atypique à mille lieues des niaiseries JPop aux chanteuses kawaï attardées ou des tarlouzes lobotomisées des groupes Visual.
Parfois considérée comme la Björk japonaise, Shiina Ringo a l'art du mélange des genres (pop, rock, jazz, classique, électro, trip-hop, chansons de cabaret ou traditionnelles), chante et joue entre autres de la guitare et du piano, et surtout écrit et compose tous ses titres. Son univers personnel est riche et varié, changeant de style à chaque morceau (encore plus frappant quand on regarde les clips associés, tous très différents mais habités par une originalité évidente). La "patte" Shiina Ringo est reconnaissable entre mille : une voix pourtant pas extraordinaire mais admirablement bien utilisée. N'hésitant pas à complètement saturer sa voix (et nos oreilles) pour gagner en intensité, imitant différentes voix pour simuler des personnages (ou pour caricaturer), roulant ses "r" d'une manière terriblement groovy (et c'est vraiment énorme quand on sait que les japonais n'arrivent pas du tout à prononcer les "r", elle, arrive à les rouler à la façon des chanteuses de cabaret (Piaf...)). Shiina Ringo a également son petit côté anti-conformiste et provocateur qui n'est pas pour me déplaire, comme par exemple dans le clip de "Honnô" où, habillée en infimière sexy, elle se met à se frotter et à léchouiller une patiente ou encore dans celui de "Tsumiki Asobi", où habillée en Oiran (courtisanes du Japon traditionnel), elle fume et fait des doigts à la caméra.
Pour finir, malgré sa grande popularité au Japon, Shiina Ringo ne joue pas les stars (c'est même carrément l'inverse), n'apparaissant dans aucune émission télé, ne donnant pratiquement aucune interview et gardant un mystère complet autour de sa vie privée.

Revenons maintenant à Shôso Strip, deuxième album succédant à Muzai Moratorium, premier album ma foi fort sympathique mais peut-être un peu trop "mainstream" pour être présenté sur ce site. En tout cas, une chose est sûre, Shôso strip ne l'est pas (mainstream). Ou plutôt il arrive à l'être, alors qu'il ne l'est fondamentalement pas (vous me suivez ?). Conservant l'ossature pop/rock de Muzai Moratorium, Shôso Strip s'en démarque pourtant assez sensiblement par ses arrangements et un style beaucoup plus hétérogène. Peut-être un peu trop diront certains, car il est vrai que l'album est plus "chargé" qu'il n'y paraît.

L'album ouvre les hostilités avec "Kyogenshou", titre rock assez classique mais que certains arrangements (les violons en tête) et la voix si particulière de Shiina Ringo viennent sublimer. Attention, revirement à 180° avec "Yokushitsu", titre assez déconcertant qui nous plonge dans l'électro mais qui se révèle au final pas déplaisant, le refrain n'y étant pas étranger. Puis "Benkai Debussy", électro-rock teinté d'un peu d'indus.
"Gibs", l'un des titres "vendeurs" de la galette, n'a vraiment d'intérêt que pour la petite histoire et son clip en hommage à Nirvana (on y retrouve d'énormes similitudes avec le clip d'"Heart-Shaped Box"). Je suis peut-être un peu dur, disons qu'elle est plaisante mais n'a rien d'original.
Puis vient la perle de l'album, "Yami ni Furu Ame", où l'orchestration des violons lancinants vient côtoyer un rythme trip-hop et des guitares saturées dans une ambiance baroque (le clip en couleur jaune/sepia saturée dans un chateau baroque avec des danseuses de ballet est de toute beauté). Cette chanson justifie à elle seule l'acquisition de l'album. S'en suit la tonitruante "Identity", en opposition totale avec la chanson précédente. Un morceau de rock bien speed et décalé où Shiina Ringo chante tour à tour de manière saturée ou gnangnan. Un morceau complètement cliché et assurément simpliste, mais terriblement accrocheur et à prendre à la rigolade (suffit de voir le clip où Shiina Ringo est traînée au sol attachée à un cheval, ignoblement affublée d'une tenue country aux couleurs des USA, sans parler du guitariste chevelu tout droit sorti des pires clips de hard rock d'époque, avec sa guitare heavy et son t-shirt Iron Maiden...). Bienvenue dans le monde de Shiina Ringo, ou l'art de passer du coq à l'âne sans la moindre hésitation ni le moindre complexe.
Encore une démonstration de roulement de "r" avec "Tsumi to Batsu" et son orgue typé gospel (désolé je connais pas le nom précis si ça a en a un) puis petite pause kawaï gnangnan télétubbies-like avec "Stoicism" et son style manga à couettes (les connaisseurs apprécieront). Ensuite "Tsuki ni Makeinu", ballade pop/rock dont le son des guitares rappelle lointainement un certain Weezer, la jazzy "Sakana", la géniale "Byôshô Public" avec ses couplets chantés au mégaphone ('tain on dirait Aphex Twin !) et son refrain punk-rock, la très pop "Honnô", LA chanson single de l'album et l'une des plus emblématiques de sa carrière (notamment pour son clip, voir explications plus haut) qui, sans qu'on y fasse vraiment gaffe, mélange subtilement pop, rock, electro et jazz. Et enfin, pour conclure l'album, la classique "Izonshô" dont l'intérêt réside dans ses couplets mélancoliques.

Je pense au travers de cette analyse assez détaillée de Shôso Strip avoir montré toutes les qualités qui le composent.
Au final, il vous faudra sûrement plusieurs écoutes à Shôso Strip pour pleinement l'apprécier. Un album qui part dans tous les sens mais dont la générosité et l'inventivité font plaisir à voir, dans un pays où la musique est encore plus formatée que chez nous.

»  8/10  «